Un faire-part inattendu

Accoudé au bastingage, Lyvin tourna la tête en entendant la jeune femme s'approcher de lui. Quand il se rendit compte que cette dernière continuait de se rapprocher de lui il se retourna complètement comme pour lui signifier qu'il était conscient de sa présence et qu'il l'entendait parfaitement sans qu'elle n'ai besoin de s'approcher d'avantage, mais la jeune femme continua néanmoins d'avancer encore!
Sentant la rambarde en bois dans son dos, il se rendit compte qu'il n'y avait pour lui aucune échappatoire. Il se sentit comme une souris prise au piège, observant avec effroi le félin qui s’avançait vers lui. Alors qu'elle ne se trouvait plus qu'à un ou deux pas de lui, il ouvrit la bouche pour tenter de parler, mais les mots restèrent coincés au fond de sa gorge alors que son cœur battait si fort qu'il craignait qu'elle ne puisse l'entendre.
Il resta ainsi tétanisé tandis que le visage de Lillian se trouvait à présent tout près du sien. Les paroles qu'elle murmura à son oreille lui écarquillèrent les yeux mais il n'osa pas bouger pour autant même alors que la jeune femme se fusse retirée. Il l'observa un instant, encore hébété comme si le temps était suspendu tout en tentant de remettre de l'ordre dans son esprit.

Une fois qu'il se fut légèrement calmé et surtout rendu compte de l'air niais qu'il devait avoir, il tenta de se redonner une certaine contenance. Il inspira profondément tout en tentant de ne pas croiser le regard de la jeune femme.

- Effectivement, le problème semble sérieux et demande réflexion. Je comprends mieux à présent vos interrogations.

Il prit une seconde pour réfléchir, affichant une moue certaine.

- J'ignore si je suis la personne la plus indiquée pour vous conseiller, mais je suppose qu'en me posant cette question vous souhaitez un point de vue pragmatique et logique. Eh bien soit, dans la mesure de mes maigres compétences en la matière, je veut bien vous apporter toute l'aide que je pourrais.

Il conclut son propos d'une courbette distinguée.

- Nous avons encore du temps avant d'arriver a destination, nous aurons l'occasion d'en reparler. A présent il vaudrait mieux aller nous reposer, nous devrions aller vous déshabiller.

Se rendant soudainement compte de ses paroles, il ouvrit de grands yeux stupéfaits et ses joues se teintèrent de pourpre.

- Nous changer! Je voulais dire nous changer, nous devrions aller nous changer.

Il s'en alla, la tête basse afin de la laisser seule et surtout s'éviter d'avantage d'embarras.

La nuit fut d’autant plus calme que le réveil fut brusque. Le soleil n’était même pas encore levé que chacun fut tiré de son sommeil par le vrombissement du moteur, le sifflement de la vapeur et les légères vibrations magiques qu’il émettait, clairement perceptible pour tout éveillé. Wilton était déjà à la barre, sifflotant un air guilleret, tandis que sa fille réveillait leurs invités avec une tasse d’infusion. Si amère qu’elle aurait pu servir de potion de résurrection, tant le coup de fouet qu’elle donnait avait de quoi réveiller les morts. Cela n’empêchait pas la gnome de grommeler en aidant son père à la manœuvre, poussant leur embarcation loin des autres bateaux à quai et évitant toute collision impromptue.

Rapidement, le quartier du port défila sous leurs yeux, si calme et paisible dans la torpeur humide et brumeuse du petit matin. Le soleil nimbait le brouillard d’une lueur laiteuse, floutant les contours des bâtiments d’un côté du fleuve, des ruines de l’autre, donnant au Vaquensirë des airs de frontières entre deux mondes. Quand le bateau fut bien au centre de la voie navigable, Rositina remonta les pare-battage et sortit un petit brasero sur le pont, s’attelant à préparer un petit déjeuner digne de ce nom.

Au rythme de ses roues à aubes, le Vaillant Petit Caneton les tira hors de la ville. Les constructions diminuèrent progressivement en taille et en nombre, les quais se firent chemins sommairement pavés, puis de terre, alors que les berges s’épaississaient de végétation et d’arbres. Roseaux et peupliers bruissaient d’une vie matinale, laissant s’échapper les échassiers et les palmipèdes qui s’envolaient parfois à leurs approches, lâchant des cris dans le brouillard. La scène était si calme qu’elle aurait pu sembler lugubre, du moins sans les babillages constants du père et de sa fille autour du petit déjeuner. Ce dernier était composé de fromage, lard et pain grillé, ainsi que d’une variété presque indécente de confitures et de gelées. Quelqu’un aimait visiblement mettre en pot absolument n’importe quel végétal plus ou moins comestible, juste pour voir.

Leur petite embarcation ne laissait pas grand-chose à faire pour les aventuriers, mais pour le moment Wilton et Rositina ne leur avait rien demandé de plus. Ils étaient donc libre de s’occuper comme ils le pouvaient.

Ça y est, ils étaient parti ! Le petit magicien était aussi attentif aux manœuvres de leur équipage que du spectacle du fleuve aux premières heures du jour.
L'atmosphère étouffée cachait le contraste saisissant des deux rives de la Méandrise. Les ruines de la cité à leur gauche, témoin de la violence des affrontements entre les aldarons et les troupes de la Cité Franche, disparaissaient dans brume et la végétation.

Pourtant, il ne leur fallut quelques minutes pour s'éloigner de ces vestiges d'un temps révolu. Leur destination était face à eux, et Podness ne se préoccupait pas vraiment de l'histoire des lieux... Pas tant qu'il n'en aurait pas lu les récits dans un livre plus exactement.

Il remercia Rositina pour le repas, goûtant sans y penser les mets à sa disposition. Se faisant, le capitaine eut le droit à une série de questions sur la façon de manier le Vaillant Petit Caneton, car la mécanique enchantée ne cessait de titiller la curiosité du magicien.

Lillian se réveilla avec les lumières de l'aube et l'angoisse dans sa poitrine monta avec le soleil. Toute sa famille devait être folle d'inquiétude. Pour ses frères, s'ajoutait un état de panique avancé à l'approche du mariage... pour des raisons différentes. Et elle qui était là, sur le "vaillant petit caneton", en croisière !

La bête démarra finalement mais le rythme de croisière lui paraissait d'une lenteur infinie. Qu'importait la beauté et le tragique des ruines à sa gauche. Qu'importait la douce brume du matin sur le fleuve. Il lui semblait que sa vie défilait devant elle au ralenti mais qu'elle était complètement immobile et incapable de changer quoi que ce soit au cours dramatique des choses.

Elle toucha à peine l'appétissant petit déjeuner proposé par la gnome et tenta d'entrer en elle-même pour se protéger en attendant d'être en position d'agir.

- Dans combien de temps arriverons-nous à destination ? risqua-t-elle finalement en s'adressant à leur équipage gnomique.

Alton étaient levé depuis les 1res lumières de l'astre qui brille, après une toilette express, il passa plusieurs heures sur le pont légèrement à l'écart pour faire ses exercices martiaux et doctrines mental qu'il fessait depuis des années.

Seul le bruit des moteurs le sortit quelques instants de sa concentration.

Après ces exercices, Alton passa par un bon bain à coup de seau d'eau froide et rejoignit le reste de la bande où il fit accueillit par Rositina avec un thé qui donna à Alton un regain de vitalité, et le reste du petit-déjeuner se déroula comme la veuille dans le silence, mais au moins Alton ce rempli bien la panse.

Lyvin avait eu beaucoup de mal à trouver le sommeil la nuit dernière.
Outre le fait de se retrouver seul avec Lillian sur le pont du bateau, c'était surtout les paroles de la jeune femme qui lui revenait sans cesse en mémoire et il ne cessait de se demander comment et surtout s'il serait en mesure de lui venir en aide. Finalement la fatigue vint à se rappeler à son corps et il se laissa glisser dans un profond sommeil.

Les rayons du soleil de l'aube le sortirent de son sommeil tel une douce caresse, il en oublia presque un instant où il se trouvait. Il se leva et se pressa de se préparer avant que tous ne rejoignent le pont. Le petit déjeuner était fort agréable et réconfortant malgré la légère fraîcheur matinale.
Tandis que chacun vacait à ses occupations, il en profita pour admirer la vue, accoudé au bastaingage le regard perdu dans la beauté du paysage et l'esprit dans ses pensées.

Pendant que Podness devisait avec avec Wilton dans ce qui devint rapidement un débat fort animé sur la capacité de la vapeur d'eau à conduire l'énergie magique, puis sur les qualités chimiques de l'onde du fleuve et enfin sur un cours assez confus mêlant histoire et géologie de la région, Rositina se préoccupa davantage de la mine déconfite de la seule autre dame du navire. Après avoir distribué à tout le monde sa part de petit-déjeuner, la jeune gnome s'installa près de la grande rousse et répondit doucement à sa question d'un air compatissant :

"Le temps va s'éclaircir avec la journée, papa va pouvoir accélérer le mouvement et on sera au pied de la montagne dès ce soir. Vous serez au mariage à temps, ne vous inquiétez pas."

La petite herboriste allait tapoter la main de Lillian pour lui donner un peu de réconfort et de sollicitude, quand un mouvement dans la brume attira son attention. Emergeant de l'air matinal, une crinière flamboyante s'agita sur l'encolure d'un cheval alezan. La bête piaffa en s'approchant du bateau, oreilles plaquées en arrière, naseau soufflant fort, le sabot frappant la terre molle du rivage. En suivant le regard de Rositina, même à cette distance et dans la brume, Lillian ne pouvait que reconnaître La Rouane, sa jument.

Interrompant les échanges particulièrement instructifs de Podness et du vieux Wilton, le grognement de Pactol fit réagir le petit magicien instinctivement.
Posant un genou à terre, pour éviter de servir de cible facile à un éventuel archer sur la rive, il fouilla la berge du regard en se fiant au regard de son chien. Ce qu'il découvrit, et entendit maintenant qu'il avait cessé son babillage, le rassura quelque peu. Sa main lâcha le cristal dans sa poche, alors qu'il posait une main rassurante sur la tête de son garde du corps.

- Tout va bien Pactol, ce n'est qu'un cheval... Un beau cheval certes...
" Quel comportement étrange pour un équidé !? ajouta-t-il pour lui-même.

Intrigué, il s'approcha prudemment du bastingage et posa son monocle sur son oeil gauche, fixant l'apparition pour mieux identifiant un détail qui lui aurait échappé et qui expliquerait cette situation pour le moins déconcertante.