Nouveau monde ou paradis perdu ?

Fëanor n'avait pas changé : il ne le gratifiait d'aucune information capable de donner lieu à un plan digne de ce nom tout en demandant son content de nouvelles. C'était une bonne chose cependant et le sorcier n'en prit pas ombrage, car au moins une paire d'oreille de trop traînait ici.

Accueillant l'arrivée des femmes avec un nouveau regard chargé de question, il leur laissa le temps de s'installer avant de faire l'exposé de ses découvertes personnelles. Comme leur programme le laissait suggérer, elles n'avaient sans doute pas passé autant de temps assis à l'ombre que lui, mais tout de même... Il laissa un court silence s'installer, comme pour ne laisser aucun doute sur la raison du caractère vide de sa réponse : ils ne devaient pas discuter trop en détail ici.

- J'ai pu m'instruire comme je l'espérais, mais il me faut plus de temps... Les Marlborough ont vraiment investi du mieux possible en arrivant ici et c'est grâce à une belle amitié avec les nobles familles que cette cité est devenue ce qu'elle est.
Ce que j'ai appris sur la jungle est effrayant : la route est mauvaise et nombre d'autochtones de toutes sortes massacrent les archéologues à l'extérieur de la ville... Et saviez vous que les coupes de bois massives sur ces sols argileux causent sans cesse des glissements de terrain ?! Une cause de mort bien fade pour ceux en quête d'aventure si vous voulez mon avis...

Hochant la tête d'un air attristé avant de boire son thé, il marqua une nouvelle pause.

-Mais je doute qu'ils servent le repas que nous espérions ici, sans vouloir vexer l'excellente madame Claude. Nous avions prévu d'aller ailleurs, non ?

Un coude sur la table et le menton dans la paume de sa main gauche, elle écoutait distraitement son époux. Il ne disait rien qu’elle ne sache déjà. Elle espérait que c’était bien la présence de la grande libraire qui coupait son élan et pas la pauvreté de sa bibliographie. En tout cas elle-même n’en dévoilerait pas beaucoup plus tant qu’elle aurait la sensation d’être épiée. Ainsi, elle confirma les propos de Nedru d’une voix lente, un peu lasse, avant que le rappel de leur rendez-vous prochain ne la réveille. Un petit sourire étira ses lèvres : une taverne de marinier lui semblait être un lieu bien plus agréable que cette crypte parfumée à l’encens. D’un bond, elle était sur ses pieds et déclara :

- Oui, nous avons rendez-vous !

Elle salua « Madame Claude » d’un « Au revoir » assorti d’une brève inclinaison de la tête et fila dehors. La chaleur et l’humidité était insupportable, mais avec un peu de chance, cette météo saurait également décourager les oreilles de potentiels roublards payés pour se mêler des histoires d’autrui. Elindine massa son épaule douloureuse ; l’accident l’encourageait désormais à la prudence. En marchant entre rues et ruelles, il serait plus difficile de les écouter ou de lire sur leurs lèvres sans qu’ils ne remarquent les indiscrets, en tout cas ce serait toujours plus facile que dans une auberge pleine. Tout en avançant d’un pas que pourrait suivre Cymbeline, la rousse contempla les deux hommes. Elle leva un sourcil pour s’enquérir de leurs recherches tout en révélant une partie de ce qu’elles avaient découvert :

- Comme tu l’as dit, Nedru, la jungle est un lieu peu accueillant. Nous avons pu discuter avec le conseil des nains installés dans les faubourgs et avec un de ses membres en particulier. Nous pouvons compter sur leur aide, tant que nous les informons de ce qui se trame ici. Les pauvres n’avaient aucune information sur les évènements du port ; ils pensaient qu’ils étaient tenus à l’écart pour permettre l’évacuation des citadins en premier.

Elle secoua la tête, un pli marqua la désolation sur son front.

- La communauté naine est en froid avec les indigènes, en tout cas. Ce sera difficile d’avoir l’appui des deux peuples, car certains leur attribuent les nombreux malheurs qu’endure les habitants des faubourgs. Apparemment les nains ont à déplorer de nombreux blessés et… Des maux plus…

Elle tapota sa tempe du bout de l’index pour illustrer son propos, avant de s’adresser plus spécifiquement à Fëanor :

- J’espérais faire entrer vos dons en matière de guérison dans nos négociations avec eux. Loin de moi l’idée de les priver de vos soins, néanmoins si nous pouvons obtenir leurs bonnes grâces et leurs services tout en nous rendant utile… Je ne dis pas non.
« Quoiqu’il en soit, nous avons un rendez-vous avec notre contact ce soir. Je nous y conduirai.
« Nous pourrons également converser avec les aventuriers du Tigre à Écailles en rentrant. La serveuse nous a dit que si nous préparions quoique ce soit dans la jungle, il faudrait s’adresser à une certaine « Renarde ». J’imagine que c’est la jeune aventurière qui était avec nous hier soir. Les gens ne manquent jamais d’imagination quand il s’agit de surnom pour les jeunes femmes rousses, n’est-ce pas ?

[HRP : sagesse - perception pour identifier de potentiels espions]

L'arrivée d'Elindine et Cymbeline changea l'atmosphère pour Fëanor qui les accueilli d'un large sourire. Il les écouta donner des nouvelles et rapidement ils convinrent sans l'exprimer ouvertement, qu'ils seraient mieux dans un autre lieu pour deviser librement.
C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent dans la rue à parler après quelques échanges polis avec leur hôte.

Alerte comme jamais, surtout après la conversation qu'il avait eu tantôt, Fëanor jetait de fréquents regards alentours pour surprendre d'éventuels curieux. Loin d'être rassuré par son échec, il n'eut néanmoins pas à interrompre la dame dans ses explications.

Une bien belle avancée qu'elle décrivait là. Il y avait matière et une nouvelle faction se dessinait, qui avait besoin d'eux.
La femme de l'anticaire proposa d'utilise ses compétences comme contrepartie, ce à quoi il répondit par un signe de tête approbateur.

Tiens... C'est la deuxième fois qu'elle se masse l'épaule, comme si elle avait du douleur...
Non, ce n'est pas normal.

Le prêtre fronça les sourcils et prit la parole à son tour, non sans un regard inquisiteur sur les passants.

- J'ai moi aussi quelques informations à vous apporter sur la situation... Mais dans un endroit moins exposé pour les détails.
" Sachez seulement que la jeune femme qui voulait me parler tout à l'heure, fait partie d'un groupe prêt à nous aider. Ils ont trouvé quelque chose d'intéressant...

Sur ces mots, malgré lui, il glissa sa main vers l'artefact dissimulé. Stoppant son geste avant de se trahir, il désigna l'épaule d'Elindine pour donner le change.

- Mais qu'avez-vous à l'épaule ma chère ?demanda-t-il.
" Si j'en crois mes connaissances en médecine, je dirais que vous souffrez... ?

Il ne voulait pas la mettre dans l'embarras, mais si elle était blessée, il pouvait peut-être faire quelque chose.

Le prêtre n’avait pas l’air de s’opposer à l’idée de marchander ses services, nota-t-elle avec satisfaction. Qu’il veuille en faire usage dès à présent sur son épaule était un petit peu plus surprenant. Elle réfléchit un bref instant, estimant l’inconfort à son membre pour finalement répondre, évasive :

- Ah, oui. Un petit accident sur le retour, juste un bleu, rien de grave, je vous en dirai plus quand ce sera possible.

Parler en pleine rue des discussions avec les nains était une chose, admettre un meurtre, fusse-t-il en état de légitime défense, en était une autre. Elle jeta un regard curieux à son époux silencieux : allait-il leur en dire un peu plus ou faudrait-il atteindre l’auberge pour que commence le temps des soins et des confidences ? Sans le quitter des yeux, elle rebondit sur un autre élément évoqué par Fëanor :

- Une jeune femme voulait vous parler tout à l’heure ? Tiens donc… J’imagine que son identité devra attendre, comme le reste, conclut-elle d’une voix faussement peinée.

Un petit sourire impatient tordait le coin de ses lèvres quand son pas accéléra subtilement. Si elle n’apprenait rien de plus en pleine rue, autant atteindre plus vite leur destination.

Les compagnons, enfin réunis, s'étaient mis en quête de la "bouteille à la mer", taverne dont le nom avait tout du bouge de marins et de ratamars locaux. Comme à l'aller, leur cheminement fut assez long et chaotique mais quand ils arrivèrent au niveau de la grande place du "tigre à écailles", ils se sentirent un peu comme de nouveau chez eux. Un bien grand mot peut-être... Disons, plus dans leur élément. Ne serait-ce parce que le prêtre connaissait très bien cette partie de la ville.

Il les guida donc d'un pas plus ferme. Les voix s'étaient tues, attendant d'être réellement dans un lieu sûr pour se libérer. Car nombreuses étaient les discussions qu'ils devraient avoir.

Après plusieurs virage à la corde dans des ruelles boueuses et étroites, ils débouchèrent à l'angle d'une rue au dessus duquel se balançait nonchalamment une grosse bouteille en verre épais. Elle tintinnabulait ponctuellement, au gré du vent, lorsqu'elle frôlait les pierres d'angle de la petite bâtisse ou une ferronnerie quelconque. Étonnamment, il y avait là quelque chose de poétique. Le prêtre s'était arrêté juste en dessous de l'étrange enseigne comme pour signifier que ce palace était bien leur lieu de rendez-vous.

Dès qu'ils entrèrent, les clients accoudés au comptoirs - des hommes à la mine patibulaire uniquement - se retournèrent et dévisagèrent les intrus comme s'ils venaient de perturber un concerto de ménestrels Cyrillans. Mais nulle musique ne s'élevait à part quelques raclements de gorge épars. Les compagnons déduisirent donc avec brio que leur mine détonnait plus que le bruit de leur entrée.

Se détachait derrière le comptoir un petit homme dont toutes les parties du corps semblaient carrées : mâchoire carrée, nez carré (ou cassé), front carré, épaules carrés et surtout... d'énormes poings carrés comme des enclumes. Il tendit un long bras noueux vers un bouteille de fine sur l'étagère du haut et arrosa l'ensemble des verres devant lui en grommelant un ensemble de notes basses qui devaient vaguement signifier "ça va les gars, on sert tout le monde", ou "vous battez pas, voilà d' la gnôle"... Puis, après s'être servi une rasade, il boita jusqu'aux nouveaux venus et leur lâcha à mi-voix :

- Ouaip... les gars m'ont dit qu'vous passez. Sont pas là encore mais zavez qu'à les zattendre dans la salle du fond. S'rez tranquilles. Vous prendrez quoi ?

Et avant d'entendre leurs demandes :

- Au fait, la tournée là qu' vient d' filer dans les gosiers... L'est sur votr' compte.

Puis il se campa, à l'écoute, en bon patron de rad. Dès qu'il aurait les informations utiles, il s'en irait et la petite équipe serait sans doute servie avant d'avoir fini de s'installer.

Ses pas dans ceux du petit prêtre l'amenèrent bientôt à l'enseigne bien nommée de la Bouteille à la Mer. L'établissement était nettement moins chaleureux que le Tigre à Écailles, l'ambiance était même plutôt tendue. Si bien qu'Elindine regretta un instant de ne pas avoir accepter les soins de Fëanor ; le temps pour le tenancier d'intervenir et de rincer les esprits trop farouches à coup de gnôle. Le sourire de la rousse était presque soulagée quand elle répondit :

- On prendra la même chose.

Avant de se diriger vers la pièce qui leur avait été indiquée. Elindine observa les lieux pour verifier qu'ils seraient aussi tranquilles que prévu, puis, une fois à l'abri des regards, elle fit signe au melessë et le laissa inspecter le bleu à son épaule, se fendant de l'explication attendue :

- On a été suivi, depuis les faubourgs. Je ne savais pas ce que ce type avait appris exactement, ni pourquoi il nous collait au train et, comme il était seul, je lui ai couru après. Il m'a tendu une embuscade dans une impasse, avec deux brutes épaisses. On s'en est bien tiré, mais j'ai quand-même pris un coup. Celui qui nous suivait a parlé d'un "Chien Blanc", mais je n'ai aucune idée de ce qu'il a voulu dire par là et on a préféré ne pas s'attarder davantage dans le coin. Je pourrai sans doute revenir sur nos pas et nous y ramener si nécessaire, mais pas tout de suite.

Ses yeux allaient d'un homme à l'autre, jaugeant leur réaction avec curiosité.

[Sagesse - Perception pour voir s'ils sont bien tranquilles dans la pièce]

A priori, personne ne les suivait. En tous cas, l'étrange impression avait fini par s'estomper et le sorcier en déduisit que la créature qui pouvait parler dans son esprit était peut être occupée ailleurs. Si la clientèle de la taverne avait l'allure d'un reste de pomme de terre accroché au fond d'une casserole, Nedru n'en avait cure : il avait déjà traversé des pièces aussi viciées que celles-là.

Se fendant d'un hochement de tête entendu en direction du tavernier pour confirmer la commande de sa femme, il s'installa à la table qu'on leur avait désignée, dans la salle du fond. L'endroit rêvé pour avoir l'air d'un conspirateur... Mais à priori, personne n'imaginait qu'ils étaient là pour prendre du bon temps.

Si la blessure de sa femme inquiéta le sorcier en faisant voler en éclat l'impression de sécurité qu'il avait eue (qui aurait intérêt à leur faire du mal ?) la mention du chien blanc eut un effet encore plus désastreux. Si la Renarde devait sans doute son nom à un attribut capillaire, le Chien Blanc n'était probablement pas un simple continental loyal. Avec une forme d'empressement non dissimulé, il demanda :

-Tu as d'autres détails ? N'importe quoi ? Est-ce qu'ils avaient l'air d'en vouloir au Chien Blanc, est-ce qu'ils avaient l'air de dire son nom avec amertume ?

Il ne faisait aucun doute qu'ils étaient redoutables, pour avoir pu blesser sa femme, on était sans doute bien au delà du villageois en colère... Si nous pouvions avoir des amis, pour changer... Quoique...
Il attendit la réponse avant de préciser ce qu'il savait, de manière à ne pas fausser le jugement d'Elindine. Et puis, Féänor était toujours là et puisqu'il ne partageait aucun de ses secrets, il était tout bonnement impossible de lui faire confiance.

La réaction de Nedru lui fit lever un sourcil. Un fond d’inquiétude étreignit sa gorge, mais sa voix était toujours calme quand elle répondit :

- Non, rien de plus. A vrai dire, il a juste crié « Le chien blanc » quand je lui ai demandé qui l'avait envoyé et pourquoi il nous suivait. Ensuite il a sombré dans l'inconscience. Pourquoi ?

L’absence d’information de la part de ses deux compagnons commençait à l’irriter et elle s’autorisa à montrer qu’elle perdait patience.

- Est-ce que je peux commencer à avoir des détails de votre part également, messieurs ?

C'était plus ou moins la réponse qu'il craignait. D'un autre côté, cela pourrait peser dans une balance pour une négociation future. Nedru ne se demanda pas longtemps s'il devait cacher l'information : tout le monde saurait bientôt de toute façon. Il hocha d'ailleurs la tête en approuvant la dernière remarque de sa femme, n'estimant pas être celui qui en cachait le plus ici.

- Le Chien Blanc c'est l'héraldique de la famille Malaval : un limier blanc sur fond bleu et noir. Nedru soupira. S'il cherche à nous éliminer, je propose de garder ça pour nous, pour le moment... S'il sait que nous savons, il sera sur la défensive et nous perdrons cet avantage.

- J'ai aussi appris quelque chose qui concerne le cœur du problème. Ou plutôt... C'est la seule chose que je peux déduire de tout ces événements et des notes qui concernent les fouilles. Il y a des choses que l'on a sorti du temple, qui sont restées en ville et ne devraient pas y être. Peut être même que le magicien sur notre bateau en avait un sur lui, ce qui aura attiré le monstre. Sans doute faudrait-il... remettre à leur place certains de ces objets pour lever le maléfice.

Si rendre des objets empruntés à des civilisations éteintes n'était pas bon pour les affaires, lever la malédiction était évidemment la première chose à faire. Tous les artefacts du temple n'étaient probablement pas maudits...

Fëanor ne fut pas particulièrement rassuré par l'accueil qu'ils reçurent à la Bouteille à la mer et il s'en voulu presque de les y avoir mené... Mais les autres prirent les devant et c'est avec soulagement qu'il se fit suiveur.
Une fois installés et après moults regards pour s'assurer de la discrétion des lieux, le couple ouvrit le bal sur les informations glanées le matin même. Et quelles informations !
Elindine et la petite avaient affrontés un espion et ses séides... au service de rien de moins que la famille Malaval ! Et Nedru parlait d'artefacts aux pouvoirs mystérieux !

Fëanor choisi ce moment pour sortir de son mutisme et sa main se referma sur l'objet dissimulé dans sa poche.

- A mon tour donc... fit-il en les gratifiant d'un sourire nuancé.
" Je m'occupe de votre blessure juste après... ajouta-t-il en désignant l'épaule d'Elindine.

- La jeune femme que nous avons rencontré mon cher Nedru, est une connaissance de Vittorio.
" Elle a à coeur d'aider son peuple à survivre, et elle opère quelques raides sur les réserves de nourriture des plus aisés... Elle est prête à nous aider à libérer la ville de cette malédiction.

Il marqua une pause, fixant le sol avec insistance... puis il sortit l'objet qu'il disposa devant eux et parla deux tons plus bas.

- Elle m'a également confié ceci... Attention, on a cherché à l'assassiner pour le lui reprendre !

Il tenait dans ses mains tendues l'artefact de métal usé par le temps.
Il n'était apparemment pas disposé à le leur confier, mais tant qu'ils se contentaient de l'observer, il ne bougerait pas.

Pensivement, Elindine se frotta le menton.

- Malaval, donc... marmona-t-elle.

Intérieurement, elle songea qu'il était cocasse qu'une hyène comme lui ait un chien en blason. Ces révélations ne l'aidaient pas à apprécier davantage cet homme, en tout cas. Elle précisa néanmoins :

- Je ne pense pas que ce type essayait de nous tuer. Il nous suivait et dès que je l'ai repéré, il a fui. Il ne m'a attaqué que parce qu'il n'a pas réussi à nous semer. Et, vraiment, il aurait dû réussir à nous semer, mais il n'a pas eu beaucoup de chance.

Puis ce fut enfin au tour de Fëanor d'ouvrir la bouche. Il ne fut pas aussi prolixe que ce qu'elle espérait, d'autant plus qu'il n'allait pas très loin en précision. En revanche, et contrairement aux autres, il était le premier à ramener matériellement quelque chose de ses recherches. Elindine observa l'objet en fronçant les sourcils, perplexe, les doigts croisés au dessus de ses lèvres.

- Hm, hm... Et cette mystérieuse jeune femme ne vous a rien dit d'autre à propos de cet objet ?

Tout en parlant elle glissa un regard vers Nedru, cherchant à voir s'il en savait plus qu'elle.

Nedru hocha la tête en notant mentalement ce qu'on lui disait, avant de répondre :

« S'il s'agissait d'un ennemi du « chien blanc », il aurait pu le crier avec une forme de rancune. Je voulais savoir s'il avait été envoyé par Malaval, ou contre Malaval. S'il ne cherchait pas à vous assassiner, ma foi... »

Il en resta là, sans savoir exactement quoi en penser.

Pendant l'exposé de Fëanor, l'antiquaire ne broncha pas. Chacun aidait « son peuple » à survivre, ici, qu'ils soient riches ou pauvres... mais le barbu n'avait pas à cœur d'expliquer que la lutte des classes était une piteuse manière de se trouver des excuses. En réalité, chacun était prêt à les aider, pourvu qu'ils soient débarrassés du camp d'en face. Son intérêt se trouva rapidement focalisé sur le petit objet que le prêtre avait extirpé de sa poche.

Il enchaîna sur la question de sa femme :

« Le lui reprendre vous dites ? D'où le tenait-elle, si ce n'est pas indiscret ? »

Il n'était pas compliqué de lire la réticence de ces deux là, à faire confiance en cette hors-la-loi. Une déformation professionnelle sans doute...
A contrario, peut-être que Fëanor était trop prompt à donner la sienne, qui sait, l'avenir le lui dirait.

Il se tourna vers Elindine pour répondre à sa question...

- Rien d'autre effectivement, car elle n'en savait pas plus. Elle était honnêtement curieuse de mon analyse pour comprendre sa fonction...
" Analyse qui n'a pas donné grand chose je dois l'avouer.

Le prêtre s'interrompit, la question de Nedru étant suffisamment pertinente pour détourner son attention...

- Elle l'a trouvé dans une caisse des entrepôts secrets, où les nobles gardent leurs vivres et leur matériel...
" Ce ne fut pas sa plus brillante idée si vous voulez mon avis...

Il stoppa de nouveau au milieu de sa phrase, comme si une brillante idée illuminait soudain son esprit.

- Mais si cet objet est maintenant entre nos mains, c'est par la volonté de Nolwë et les actes, aussi répréhensibles soient-ils, de cette femme.
" C'est ce qui devait arriver, alors découvrons pourquoi !

Un soupir résigné répondit à Nedru :

- Je n’ai aucune certitude, mais je dirais plutôt « envoyé par » que « contre ».

Elle n’imaginait pas que ces grands bourgeois les laissent agir à leur guise, sans s’assurer de ce qu’ils faisaient exactement. La surveillance n’était pas une surprise, à ses yeux. Mais qu’un espion réagisse aussi violemment à un contre-temps aussi bénin… C’était plus inquiétant. S’il avait été envoyé seulement pour les observer, ne prenait-il pas le risque de contrarier Malaval, en les tuant ? A moins que ce dernier essaye de limiter les pions en jeu… Quel mauvais joueur.

L’exaltation du prêtre fit hausser un sourcil dans le visage de la rousse. Elle ne savait pas trop si elle trouvait sa ferveur touchante, agaçante ou inquiétante. Dans le doute elle toussota et se contenta de répondre :

- Est-ce que vous voulez dire que ce pourrait être l’un des artefacts volés dans les ruines ? Il existe sans doute un inventaire des pièces pillées qui pourrait davantage nous informer à ce propos. Ce serait la moindre chose… As-tu eu accès à de tels registres ? demanda-t-elle finalement à Nedru.

Elle n’espérait pas qu’il ait plus d’information dans l’instant. Il y aurait probablement d’autres paperasses à examiner, en attendant il leur restait le rendez-vous avec le nain et la discussion à venir avec les marins.

L'antiquaire-sorcier tapotait sa mâchoire du pouce, la tête posée contre le reste de ses doigts pliés, plongé dans une réflexion muette. Si la noblesse les surveillait -et c'était probablement le cas- alors ils savaient peut être où avait été se promener Fëanor.

Son regard ne quittait pas l'étrange objet posé à portée de main. Il ne lui semblait pas avoir lu quoique ce soit de précis ayant cette forme là, dans ce qu'il avait parcouru concernant les fouilles. Pourtant, rien ne laissait supposer une quelconque valeur pécuniaire audit artefact, ses attraits étaient donc autres...

Tu es là, couronne de Garamond ?

« Cachez ça pour le moment. Est-ce qu'il y en a d'autres ? Si par chance il s'agit de l'un des objets qui attire -mais ce n'est qu'une supposition- la malédiction sur la ville, cet objet est plus qu'inestimable... Quelle est la suite du programme, pour vous ? J'imagine qu'il reste des ouvriers survivants de ces expéditions au temple. Peut-être en savent-il beaucoup ,d'une manière ou d'une autre ? »

Il interrogea du regard Fëanor, puis sa femme. Il ne faisait guère de doute sur leur choix de favoriser des contacts chez le petit peuple : autant mettre cela à profit. Si Malaval ou un autre leur reprochait d'avoir été chercher des réponses où ils le pouvaient dans cette ville, Nedru ferait son possible pour les rassurer.

Elle leva ses yeux vers ceux de Nedru, plongeant ses prunelles dans les siennes un bref instant avant de répondre, bras et jambes croisés.

- Je vous l’ai dit, ce soir, nous avons rendez-vous avec un contact. Il m’a également proposé de me présenter plusieurs survivants. Ils ne sont pas en très bonne état, ni physiquement, ni mentalement. D’où ma demande : ce serait mieux que Fëanor m’accompagne, quand il sera question de les rencontrer. Mais je ne pense pas que ce soit le sujet de ce soir. Ce rendez-vous a l’air plus… Secret. Et après l’altercation dans les ruelles, je me méfie des secrets et je préfère donc que vous veniez tous les deux.

Fëanor et Nedru n’étaient pas exactement le genre d’homme qu’elle imaginait pouvoir la protéger, mais elle estimait néanmoins qu’ils pouvaient faire la différence entre vie et trépas, chacun à leur manière.

- Entre-temps, je pensais retourner au Tigre à écailles, pour parler à la fameuse Renarde. Je pourrais passer vous chercher à la « bibliothèque », quand j’aurai fini. Nous irons ensemble à notre rendez-vous, finit-elle, velours et ironie teintant ensemble sa voix.

La question avait du sens et Fëanor s'en voulut de ne pas se l'être posée plus tôt... Y-en a-il d'autres là où Irina avait trouvé celui-là ?. Le lui avait-elle dit d'ailleurs ? Il ne parvenait pas à s'en souvenir. En tout cas, l'idée que cet objet pouvait être à l'origine des malheurs de la ville était terriblement dérangeante !

Le prêtre remercia Elindine pour son intervention avec un signe de tête et un petit sourire.

- Oui, je n'ai pas oublié... Je leur viendrais en aide comme je le peux, comme toujours.

Puis vers Nedru, son regard devenant inquisiteur et il reprit.

- Je suis un peu déçu que vous en sachiez si peu sur cet objet... La profession d'anticaire n'est plus ce qu'elle était ! Ajouta-t-il un brin taquin.

A dire vrai, il était particulièrement frustré. Mais c'est surtout à lui qu'il en voulait pour le moment. Reporter ses faiblesses sur le dos des autres ne lui apporterai rien, Nolwë lui en était témoin.

Après ces échanges instructifs pour les uns et les autres mais aussi très éprouvants émotionnellement, les compagnons se laissèrent tanguer dans la brume éthylique des lieux. Ils avaient besoin de réfléchir à la suite des opérations.

Elindine savait que la rencontre de ce soir leur donnerait un autre point de vue, beaucoup plus extérieur, sur la situation. Elle espérait juste qu'ils puissent se comprendre.

Fëanor et Nedru étaient obnubilés par l'étrange objet. Fëanor se fit qu'un tel talisman devait bien avoir des propriétés magiques et qu'il serait intéressant de faire le tour de ses sorts pour savoir si certains ne pouvaient lui en dire plus. Nedru, lui, était désormais totalement convaincu de deux choses : Cet objet n'était pas le coeur du problème de Laälmath mais, en revanche, il était un caillou sur le chemin qui leur permettrait sans doute de remonter le courant de cette malédiction. Il était donc évident qu'il y avait de nombreuses pièces de ce genre - et bien plus puissantes - cachées ça et là dans cette cité. Mais où ? et à qui s'adresser pour les retrouver ?

Une chose était désormais évidente pour les quatre compères : Il fallait agir rapidement. Leurs démarches avaient pour le moment été plus que fructueuses pour une première journées. Il fallait donc dès demain agir... mais pour quoi faire ? cela restait à leur réflexion.

Au bout d'un certain temps, la porte de "La bouteille à la mer" s'ouvrit. Ils ne voyaient pas l'entrée mais ils reconnurent les nouveaux venus lorsqu'ils pénétrèrent dans l’alcôve avec une nouvelle tournée de fine. Sands flanqué de Gerald. Mais à leur étonnement, les marins n'étaient pas guillerets et souffrant du crâne. On aurait pu s'y attendre car les retours au ports étaient souvent festifs pour les gens de mer. Or, ils étaient plutôt éteints.

Ils firent leur possible pour prendre un air plus amène en s'attablant, demandant comment avaient dormi les compères et si les filles ou les garçons du crû leur plaisaient, mais le coeur n'était pas à la gaité. passées ces formalités d'usage, ils commencèrent à se raconter :

- On se doutait que ces histoires avaient fait du vilain, expliqua Sands d'un air grave en finissant sa liqueur, mais les dégâts sont pire que ce qu'on pensait. Beaucoup de nos copains qui croisaient sur les goélettes ou les navires plus gros des environs sont partis... Et pour la plupart, ils ne semblent pas arrivés à bon port. La bête n'a pas traqué que les vaisseaux de la baie. Elle a ratissé large à ce que disent les gens de mer. Par contre, les gars racontent qu'à part des pêcheurs et des chiens des quais, y a pas tant de noyés dans la population.

Les compagnons prirent ça comme une bonne nouvelle. Alors Gerald enchaîna :

- Mais il commence à se raconter des trucs bizarres dans les bas-fonds. Certains disent que les noyés sont dans une situation pire que la mort. Qu'on pourrait pas faire ça même à son pire ennemi. Qu'on peut pas laisser une âme trainer dans un corps tout mou comme ça. On a l'impression que ça venait des milieux des grenouilles de bénitiers. Il semble dire qu'il faudrait faire quelque chose pour abréger leurs affres et leur donner une vraie sépulture. On sait pas comment ça va tourner cette affaire...

Ils racontèrent encore quelques ragots moins intéressants sur des personnages inconnus puis finirent par revenir sur les sujets qui intéressaient le groupe :

- Et vous, vous en pensez quoi de tout ça, hein ? Vous avez appris des trucs ? Vous pensez que ça va se dérider un peu ? enchaîna Sands avant de sembler se remémorer quelque chose : Vous vouliez qu'on vous parle un peu plus du Capitaine Teels, hier soir. En quoi ça vous intéresse ? Et quoi en particulier ?

Sur ce, il se tut et Gerald n'ajouta rien. Il n'y avait aucune méfiance dans leur regard mais de la lassitude.

L’arrivée des deux marins fut accueillie par un sourire soulagé de la rousse. Elle sentait bien qu’ils avaient épuisé les sujets les plus intéressants et, si Nedru en savait davantage, il ne lui en ferait part que lorsqu’ils retrouveraient un peu d’intimité… S’il le faisait tout court, ce qui n’était pas non plus certain. Les bras croisés, nonchalamment penchée en arrière, Elindine ne put retenir le coin de ses lèvres qui s’étira avec satisfaction, quand la question des « gars et des filles du cru » fut brièvement abordée. Elle jeta un rapide coup d’œil à Cymbeline, puis à Gérald, avant de lever son annulaire et l’alliance qui y brillait, une fois sa main gauche dégantée. Un geste silencieux, plus destiné à en rire qu’autre chose, la roublarde appréciant qu’on oublie son statut de femme mariée. D’ailleurs les politesses furent bientôt évacuées pour aborder le cœur sujet.

Ils n’avaient pas grand-chose à dire de plus que tous ceux qu’ils avaient interrogé jusque-là : ils étaient tous enfoncés dans le même problème et celui-ci n’avait de cesse de s’épaissir. De plus, en matière de magie et de malédiction, la jeune femme n’y connaissait rien. Elindine soupira et rabattit son buste en avant, les bras croisés sur la table, elle prit l’initiative d’une première réponse :

- Franchement, on en sait pas beaucoup plus. On a quelques pistes qu’il faut encore creuser. Quoiqu’on cherche, il va falloir du temps pour le trouver. En parlant de ça, Teels avait la réputation de… Comment dire ? De savoir faire preuve de discrétion, concernant certaines tâches ou affaire et… elle baissa la voix, tâchant de rester audible néanmoins.
« Il y avait un type étrange, sur le bateau, un grand brun à l’air huppé, qui s’est volatilisé quand ça a commencé à bastonner. Quelqu’un que Teels n’a pas emmené sur son rafiot, mais qui semblait être un invité de marque. Vous avez des infos ? A la fois sur cet homme, les magouilles de Teels et les raisons pour lesquels il n’hésitait pas à tremper dans ce genre d’histoire ?

En reposant ses omoplates sur l'assise de sa mauvaise chaise, le sorcier répondit par un sourire à la pique de Fëanor et il hocha la tête en levant ses paumes, comme pour s'excuser. Peut être que le serviteur d'un certain Prince en saurait plus à ce sujet mais pour l'heure, c'était limite... Cela dit, la remarque du prêtre ne manquait pas d'intérêt. Si Nedru se mettait à documenter ce qu'ils apprenaient sur les objets maudits de la région, peut être pourrait-il faire relier et reproduire ses notes, afin de les vendre à bon prix. Plus d'un marchand avait commencé aventurier et il avait déjà rencontré une ancienne aventurière très fière de faire figurer plusieurs livres écrits de sa main sur ses étagères...

Mais ce n'était sans doute pas le moment de penser à ça ! Il y avait d'autres de ces objets... Peut être beaucoup d'autres. Leur jeu de piste ne faisait que commencer. L'arrivée des marins, cependant, offrit une distraction bienvenue car l'antiquaire sentait son esprit se promener dans des directions trop nombreuses pour que l'on puisse appeler qualifier l'exercice d'une saine réflexion.

- Teels a voulu nous abandonner à une mort certaine et j'espère que son âme se fait torturer quelque part en ce moment... C'est clair qu'il cachait bien son jeu, mais il avait l'air d'en pincer pour une dame. Je sais pas si c'était un grand sensible et s'il lui a balancé tout ce qu'il faisait dans la vie, mais elle connaît peut être deux-trois de ses combines. Si on la trouve, on pourra lui présenter nos condoléances et peut être qu'elle aura la gentillesse de nous en dire plus sur le capitaine...

Il ne rebondit pas sur ce qu'Elindine avait commencé à dire, concernant "Bubudir", le magicien évadé. Il était possible que ce magicien possède lui aussi l'un des "orbes" qu'ils cherchaient. Et vu l'impression qu'il lui avait donné et les questions posées par le sire Malaval la veille, sans doute Bubudir avait-il trouvé refuge auprès de la bonne société de cette ville... Autant ne pas trop en dire à ce sujet. Récupérer les artefacts maudits était leur priorité et ils devaient éviter de donner trop de bonnes pistes à d'autres qu'eux même.